La lumière les a séduits, les gens les ont conquis
Ils sont venus en Tunisie, sans raison majeure. Dans la mesure où ils n’ont pas rejoint un conjoint, une famille, un emploi. Mais tout simplement, comme ces voyageurs d’autrefois, parce que le pays leur a souri, la lumière les a séduits, les gens les ont conquis. Parce qu’ils y ont respiré mieux qu’ailleurs, parlé plus profond, chanté plus juste, mangé plus goûteux, en un mot s’y sont réveillés plus heureux. Et si une rencontre, un travail, une passion sont venus se greffer sur ce coup de cœur, cela n’a fait que le conforter. Nous autres cartésiens, qui cherchons aujourd’hui une explication rationnelle à toute chose, et qui sommes dubitatifs, sinon suspicieux devant ce qui relève du non programmé, avons cherché à comprendre, et sommes allés à leur rencontre.
Rosita Ferrato, journaliste-écrivain
Rosita est journaliste. Spécialiste en cultures et sociétés de Méditerranée, elle crée, à Turin où elle vivait, un café littéraire, et à Paris la Maison des journalistes, accueillant les journalistes réfugiés. Elle se passionne pour les débats culturels, travaille sur l’immigration, écrit des livres sur l’Albanie, le Maroc, collabore avec de nombreux journaux italiens, effectue de nombreux reportages de voyage, et découvre la Tunisie.C’était à l’occasion d’un reportage commandé par un journal qu’elle se propose, et tombe amoureuse du pays.
« La beauté du ciel, les couleurs, l’énergie qui se dégage ont produit un curieux phénomène en moi. Dès mon retour à Turin, j’avais la nostalgie de ce pays. Il me fallait un prétexte pour y retourner, aussi futile soit-il. J’ai décidé ne pas pouvoir vivre plus longtemps sans un bijou que j’avais vu dans les souks. Je suis donc retournée à Tunis, ai acheté le fameux bijou-alibi, et ai découvert que je pouvais aussi bien travailler à partir de Tunis que de Turin. »
Rosita vit aujourd’hui à l’étage d’une superbe demeure à l’orée de la médina. Elle écrit, bien sûr, collabore au mythique ‘‘Corriere di Tunisia’’, entame un roman, découvre le hammam, avec massage en prime, à six dinars la séance, parle aux chats sur les trottoirs, adore les restaurants populaires, et se découvre de nombreux amis de toutes origines, artistes, universitaires, artisans qui la reçoivent dans leurs familles. C’est la vraie vie des Tunisiens qu’elle veut mener et non celle de visiteurs passagers. Elle continue à faire des reportages, mais quand elle parle de rentrer chez elle, aujourd’hui, c’est en Tunisie :
« Les lieux m’attirent, mais aussi les histoires, les gens. Ici, les gens sont plus vivants, les yeux plus brillants. Il y a une énergie qui m’éclaire, m’inspire, me stimule. Je fais des choses que je n’avais jamais faites : des cours d’arabe, mais aussi de chant. Je rencontre des gens de toutes origines, simples ou sophistiqués, tout le monde se mêle, toutes générations confondues.»
Rafram Chaddad, artiste visuel-chef amateur
Rafram Chaddad est né à Jerba, et, tout jeune, a suivi ses parents en Israël. Il a grandi à Jérusalem, y a étudié à l’Ecole des Beaux- Arts, suivant un cursus en photographie et arts visuels. Depuis, il sillonne le monde pour exercer son métier, travaillant en Italie avec le célèbre sculpteur Michelangelo Pistoletto, exposant au Mucem de Marseille, mais aussi en Allemagne, à New York, donnant des cours à l’université de Columbia.Passionné de gastronomie, qui constitue pour lui un art et une culture à part entière, il s’attache à retrouver les flux, les influences, les concordances et les similarités des cuisines orientales. C’est ainsi qu’on l’a vu se pencher sur les secrets des fourneaux des maisons qui lui ouvraient leur table au Liban, à la frontière syrienne, en Turquie, en Palestine. Il interroge les cuisinières, traque les secrets des épices, découvre nouvelles saveurs et alliages inédits, se fait confier les traditions régionales, familiales….
« Ce n’est pas uniquement une question de cuisine, mais aussi de tout ce qu’il y a autour, les structures sociales, les rapports de transmission du savoir…Cela ne peut pas être seulement du folklore. Quand on parle de chakchouka, de bkaïla, de brick, on réfléchit à leur origine.»
Et cette réflexion alimente son travail d’artiste visuel, ses installations et ses performances qui, toutes, suscitent l’interrogation.
« En fait, tout mon travail d’artiste visuel, ce que je fais en Italie, en Allemagne, à New York, est connecté à la Tunisie, à mes racines familiales, à Jerba, l’île de mon père, au quartier de Lafayette qui était celui de ma mère.»
Aussi, après un passage à vide en Allemagne qu’il trouvait triste, un essai en Italie tout de même plus gaie, il décida de prendre le bateau qui passait tous les jours devant sa fenêtre et d’accoster à La Goulette dont il fit son ancrage. Et son champ d’expérimentation :
« Ici, vous avez le plus beau marché du monde, les meilleurs produits, et je sais de quoi je parle. Mais hélas, on ne fait que de la cuisine conservatrice, sans aucune créativité, et pire, sans aucun respect. J’ai cru qu’après la révolution, il y aurait, en matière d’art culinaire, la même explosion que celle qui a touché tous les arts. Mais non. Même à New York, on fait des plats tunisiens plus inventifs qu’à Tunis. Savez- vous que l’harissa a été consacrée premier « healthyfood » par le ‘‘Time magazine’’ ? Dans d’autres pays, on aurait engrangé beaucoup de revenus de cette consécration.
C’est encore une question de respect : les meilleurs produits sont exportés, et les jeunes chefs qui auraient pu les mettre en valeur s’exportent eux aussi.»
En attendant, Rafram Chaddad entame un livre sur l’Histoire de l’art culinaire en Orient depuis le XIXe siècle. Il partira dans quelques jours, accompagné d’un des meilleurs photographes culinaires du monde, sillonner les routes d’Orient, de Salonique à Istamboul, de Jerusalem à Alexandrie, et du Caire à Tunis bien sûr. Ce ne sera guère un livre de recettes, mais celui de l’origine des plats, de leur signification anthropologique, des circonstances dans lesquels on les sert, des flux migratoires qui ont accompagné leur expansion, des influences sociologiques et culturelles qui les ont fait adopter ou modifier.
Et se fait plaisir en accueillant à une table d’hôte dans la médina les amateurs de gastronomie.
Nathalie Garcon, styliste
Pour Nathalie Garçon, styliste, designer, installée galerie Vivienne, une des plus belles galeries de Paris, le coup de cœur a eu lieu pour les Tunisiennes avant même de découvrir le pays. C’est à Zarzis, au cours d’une des rencontres du réseau Femmes de Méditerranée qu’organisait magistralement Hosni Jemmali, l’un des meilleurs ambassadeurs informels de notre pays, que Nathalie Garçon y succomba :
« J’ai rencontré là des femmes formidables, artistes, artisanes, journalistes, communicatrices. Toutes sont devenues des amies, et m’ont donné envie de connaître leur pays. »
Elle y est revenue pour les voir, a invité quelques artistes et designers à exposer chez elle, est revenue encore pour des vacances. Puis elle qui sillonnait le monde pour découvrir matières et savoir-faire, qui ne jurait que par l’Inde et la Chine où elle passait de longues semaines, a découvert qu’elle pouvait trouver son bonheur beaucoup plus près. Curieuse, entreprenante, elle découvrit des ateliers discrets et performants, des artisanes habiles, des designers talentueuses. Elle fit surtout de belles rencontres, et décida d’offrir visibilité à ces mains anonymes, à ces créatrices de l’ombre, mais aussi à ces artistes qui n’avaient pas toujours eu la possibilité de franchir les frontières.
Elle commença par louer une magnifique demeure au fond d’un jardin à Sidi Bou Saïd, et organisa son mariage dans le village.
Aujourd’hui, Nathalie Garçon vit à temps partiel en Tunisie, y travaille et y fait travailler artistes, designers et artisans dont elle adapte les produits aux exigences de la mode parisienne, et qu’elle est heureuse de mettre en avant dans son superbe espace devenu une très belle vitrine de notre pays.